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Est-ce la nécessité qui pousse les humains à travailler ?

Définitions

Selon Hannah Arendt, la définition du travail est « L'activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital ». Elle l'écrit à la page 42 du livre "Condition de l'homme moderne".

Selon Karl Marx, lLa force de travail est « l'ensemble des facultés physiques et intellectuelles qui existent dans le corps d'un homme, dans sa personnalité vivante, et qu'il doit mettre en mouvement pour produire des choses utiles ». Il l'écrit à la page 129 du livre "le Capital".

Le maître et l'esclave

Une référence pour répondre à la question de départ est "La dialectique du maître et de l'escale" de Alexandre Kojève. L'idée derrière ce texte est que à force d'être esclave, l'esclave va s'accomoder aux règles de la nature. Par conséquent, il va se renforcer grâce à ces règles. De plus, il va apprendre à connaître la nature, et donc développer un grand instant de survie et une maîtrise de la nature. À l'inverse, le maître n'aura pas cette connection avec la nature, le rendant moins fort. Par la force des choses, l'esclave pourra donc s'émanciper de son maître.

De plus, le maître n'aura pas les compétences pour remplacer l'esclave dans son travail, l'affaiblissant encore plus. La condition initiale de tout cela est que si le travail est mené sous contrainte, d'un autre homme ou de sa propre nature, le travailleur va devenir de plus en plus autonome. Dans ce cas là, le travail pousse vers la liberté, donc vers l'absence de nécessité.

Le travail et la menace de mort

Le travail – c'est-à-dire l'activité économique – n'est apparu dans l'histoire du monde que du jour où les hommes se sont trouvés trop nombreux pour pouvoir se nourrir des fruits spontanés de la terre. N'ayant pas de quoi subsister, certains mouraient, et beaucoup d'autres seraient morts s'ils ne s'étaient mis à travailler la terre. Et à mesure que la population se multipliait, de nouvelles franges de la forêt devaient être abattues, défrichées et mises en culture. À chaque instant de son histoire, l'humanité ne travaille plus que sous la menace de la mort : toute population, si elle ne trouve pas de ressources nouvelles, est vouée à s'éteindre ; et inversement, à mesure que les hommes se multiplient, ils entreprennent des travaux plus nombreux, plus lointains, plus difficiles, moins immédiatement féconds. Le surplomb de la mort se faisant plus redoutable dans la proportion où les subsistances nécessaires deviennent plus difficiles d'accès, le travail, inversement, doit croître en intensité et utiliser tous les moyens de se rendre plus prolifique. Ainsi ce qui rend l'économie possible, et nécessaire, c'est une perpétuelle et fondamentale situation de rareté3 : en face d'une nature qui par elle-même est inerte et, sauf pour une part minuscule, stérile, l'homme risque sa vie. Ce n'est plus dans les jeux de la représentation que l'économie trouve son principe, mais du côté de cette région périlleuse où la vie s'affronte à la mort. Elle renvoie donc à cet ordre de considérations assez ambiguës qu'on peut appeler anthropologiques : elle se rapporte en effet aux propriétés biologiques d'une espèce humaine (...) ; elle se rapporte aussi à la situation de ces êtres vivants qui risquent de ne pas trouver dans la nature qui les entoure de quoi assurer leur existence ; elle désigne enfin dans le travail, et dans la dureté même de ce travail, le seul moyen de nier la carence fondamentale et de triompher un instant de la mort (...). L'homo oeconomicus (…) c'est celui qui passe, et use, et perd sa vie à échapper à l'imminence de la mort. C'est un être fini. »
Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966,

De plus, Spinoza dit : « Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être. ». Chaque être vivant doit assurer sa survie, confirmant le texte précedant.

L'abeille et l'architecte

Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature. L'homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêtons pas à cet état primordial du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles; il y réalise du même coup son propre BUT dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L’œuvre exige pendant toute sa durée, outre l'effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d'une tension constante de la volonté. Elle l'exige d'autant plus que, par son objet et son mode d'exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu'il se fait moins sentir à lui, comme le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles; en un mot, qu'il est moins attrayant »
K. Marx, Le Capital